Renforcer la résilience des chaînes agroalimentaires
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Publié par
Etienne Duclos
le
27/10/2025
Renforcer la résilience des chaînes agroalimentaires
Contexte global et impacts en France
Changements climatiques : données mondiales et effets domestiques
À l’échelle mondiale, les projections indiquent des pertes potentielles de rendement de 15 à 35 % pour les grandes cultures (blé, maïs, riz, etc.) d’ici 2050, selon les régions et les scénarios de réchauffement. Ces prévisions sont tirées notamment de travaux d’organismes scientifiques qui étudient l’irréversibilité des dommages sous des stress hydriques, thermiques et des extrêmes climatiques.
En France, les effets se manifestent déjà. Par exemple :
En 2022, la production de maïs a diminué de 18 % en raison des fortes chaleurs et du manque d’eau. Oxfam France
Dans certaines régions de la moitié nord, un épisode de sécheresse historique a provoqué une baisse de près de 50 % du rendement du blé tendre. Cerfrance DP
En 2024, la récolte de blé tendre est anticipée en baisse d’environ 13 % par rapport à 2023 (et 11 % par rapport à la moyenne décennale). L’orge d’hiver devrait reculer de 15 %. Le Monde.fr
Ces chiffres montrent que le changement climatique réduit non seulement les rendements moyens, mais augmente aussi la variabilité d’une année sur l’autre, ce qui complique la planification pour les exploitants.
Dépendance, importations et souveraineté alimentaire en France
La France dispose d’un secteur agricole puissant, mais il est confronté à des vulnérabilités structurelles :
Environ 20 % de l’alimentation consommée en France est importée. Statista
La France importe plus de 80 % de ses engrais minéraux, notamment des engrais azotés. info.gouv.fr
Le chiffre d’affaires de l’industrie agroalimentaire en France est d’environ 388,8 milliards d’euros en 2021, positionnant la France au 2ᵉ rang de l’UE derrière l’Allemagne. Insee
Ces tendances montrent une forte insertion dans les échanges internationaux, mais aussi que certains intrants essentiels (engrais, protéines végétales) viennent principalement de l’étranger, ce qui accroît la vulnérabilité aux perturbations globales.
Autres données clés
Le gaspillage alimentaire en France est estimé à 10 millions de tonnes par an, soit 12-20 milliards d’euros de valeur, et environ 15-20 % de la production agricole totale. Wikipédia
Le puits de carbone que représentent les forêts françaises est en forte baisse : il est passé de ~ 74,1 millions de tonnes de CO₂ retirées en 2008 à ~ 37,8 millions de tonnes en 2022. arXiv
Certaines cultures sont particulièrement exposées :
Blé tendre : forte sensibilité aux stress hydriques et aux excès de pluie. En certaines zones, perte de rendement pouvant atteindre 50 % lors d’années extrêmes. Cerfrance DP
Maïs : exemple de 2022 (−18 %) à cause d’un été caniculaire. Oxfam France
Fruits, légumes, légumineuses : la dépendance aux importations est particulièrement forte pour ces filières. Selon certaines études, il faudrait ajouter ~ 1 million d’hectares pour doubler la production de fruits et légumes, et multiplier par 5 celle de légumineuses pour viser une autonomie suffisante. France Nature Environnement
Engrais : +80 % des engrais azotés importés → source de risque si les prix ou les approvisionnements se bloquent. info.gouv.fr
Protéines végétales (tourteaux, soja) : importées d’Amérique du Sud, sujettes aux fluctuations financières, climatiques et politiques.
Répercussions économiques et sociales
Perte de rendement entraîne une baisse de revenu pour les agriculteurs, hausse du coût des matières premières pour l’agroalimentaire, pression sur les prix à la consommation.
Augmentation des coûts pour les consommateurs, risque de fragilisation des zones rurales déjà peu résilientes.
Risques pour la qualité des produits, notamment protéines, teneur en eau, teneur en matières nutritives, etc.
Stratégies renforcées pour une résilience accrue : pistes pour la France
Innovation agronomique et amélioration variétale
Développer des semences résistantes à la sécheresse, aux excès de chaleur, aux maladies. Programmes de recherche (INRAE, CEA, etc.) à soutenir fortement.
Encourager l’usage de variétés de blé, maïs, betterave, etc., plus tolérantes à la chaleur estivale ou aux stress hydriques.
Favoriser l’édition génomique (CRISPR) lorsque réglementairement possible pour accélérer les innovations.
Pratiques agricoles durables et régénératrices
Rotation des cultures, introduction de légumineuses pour limiter la dépendance en azote minéral.
Pratique des couverts végétaux, réduction du travail du sol, agriculture de conservation.
Meilleure gestion de l’eau : collecte, stockage (retenues), irrigation efficiente, capacité à faire face à des étés plus secs.
Diversification des productions et rééquilibrage des territoires
Développer localement les filières sous-autonomes : fruits, légumes, légumineuses.
Valoriser les productions régionales pour réduire les transports, améliorer la sécurité des approvisionnements locaux.
Repenser l’usage des terres : réduire la surface investie en élevage intensif lorsque cela concurrence les cultures destinées à l’alimentation humaine. Ceci pourrait libérer des millions d’hectares. France Nature Environnement
Logistique, stockage, transformation
Investir dans les infrastructures de stockage moderne (silos climatisés, chambres froides), pour réduire les pertes post-récolte.
Améliorer les réseaux de transport, raccourcir les distances entre production et consommation (circuits courts).
Développer davantage de transformation locale pour ajouter de la valeur, stabiliser les prix.
Politique publique & financements
Mise en place d’assurances climatiques pour couvrir les exploitants face aux aléas extrêmes.
Subventions ciblées pour promouvoir les pratiques durables, la transformation locale, les infrastructures de stockage etc.
Orientation des aides PAC (Politique Agricole Commune) pour renforcer la résilience, l’autonomie, la transition écologique.
Encouragement des partenariats public-privé, des investissements privés pour développement de technologies agricoles, d’outils prédictifs (données climatiques, IA, satellites).
Scénarios & projections pour la France d’ici 2030-2050
Projections climatiques
Les études montrent que la température moyenne en France métropolitaine a déjà augmenté d’environ 1,7 °C depuis le début du XXᵉ siècle. Wikipédia
Les jours de canicule pourraient devenir beaucoup plus fréquents : actuellement 3 à 10 jours par an dans certaines régions, ce nombre pourrait grimper à 20-40 jours dans les décennies à venir selon certains scénarios. Wikipédia
Les précipitations hivernales pourraient augmenter, mais les étés deviendraient plus secs. Ce déséquilibre accentue le stress hydrique pendant les périodes critiques pour les cultures.
Impacts possibles sur la production agricole française
Le maïs, déjà fortement affecté, pourra subir des baisses de rendement annuelles plus fréquentes, sauf adaptation forte.
Le blé tendre, s’il n’y a pas sélection variétale adaptée ni changement de calendrier de semis, pourrait connaître des pertes similaires à celles observées lors des années extrêmes, voire plus sévères dans les zones les plus touchées.
Les cultures de fruits, légumes et viticoles pourraient voir leur saisonnalité modifiée, leur rendement et leur qualité (goût, arômes, sucre, arrière goût, etc.) altérés par les températures et la gestion de l’eau.
Scénarios économiques
Si rien n’est fait, les coûts liés aux importations d’intrants, aux pertes, et aux fluctuations climatiques pourraient éroder les marges des exploitations.
Les consommateurs pourraient subir des hausses de prix alimentaires, particulièrement pour les produits sensibles (céréales, fruits, légumes).
Risques accrus pour l’emploi agricole dans certaines régions, et pour l’équilibre territorial rural.
Conclusion
La France est déjà en première ligne des effets du changement climatique sur l’agriculture : baisses de rendement significatives, hausse de la variabilité, dépendance vis-à-vis d’importations d’engrais et de protéines, etc. Ces défis ne sont pas seulement théoriques : ils se traduisent aujourd’hui, comme en 2022-2024, par des pertes tangibles sur les exploitations, des hausses de coûts, et une fragilité accrue.
Mais il y a de l’espoir et des leviers d’action concrets. En combinant innovation, adaptation, réglementation, financements et soutien aux agriculteurs, la France peut non seulement limiter les dégâts, mais renforcer sa souveraineté alimentaire, sa compétitivité, et bâtir un modèle agricole plus résilient. Le moment d’agir est maintenant.